SAINT-PANCRACE

CHAPELLE   ROMANE du Xème siècle


Témoignage   et   réflexions

de   Louis   Jalabert

Ancien président et fondateur de l’association

« Les Amis de Saint-Pancrace »

 

La petite chapelle dédiée à Saint-Pancrace se dresse entre vignes et garrigues dans un beau site des Corbières Maritimes, à trente kilomètres environ au sud de Narbonne, près du village et de l’étang de La Palme.

La chapelle en l'an 2000Aujourd’hui désert, le lieu était jadis un petit village donné en fief à la famille d’Auriac par les vicomtes de Narbonne au cours du XIIIème siècle.

Les habitants de La Palme ont toujours aimé cette chapelle, lieu de pèlerinage deux ou trois fois l’an.

Ils se sont chargés, à des intervalles plus ou moins réguliers, des travaux nécessaires à son entretien.

En écrivant ce petit opuscule, je n’ai pas la prétention de faire œuvre d’historien.

A la demande de plusieurs habitants du village, je vais seulement essayer de vous faire part des connaissances que j’ai acquises au fil des années, en travaillant sur le site et son histoire.

J’y ai consacré de longues heures mais je garde un très bon souvenir de cette période de ma vie : j’ai rencontré quelques déceptions, certes, mais surtout le bonheur de mieux connaître mon village et son passé.

C’est ce bonheur là que je vais tenter de vous faire partager, mais n’étant pas un spécialiste de l’écriture, je sollicite d’emblée toute votre indulgence.

Essayons de narrer chronologiquement les faits, en débutant par les travaux, puisque c’est par là que pour moi tout a commencé. Puis viendront les découvertes, et par la suite les recherches et les déductions, qui m’ont permis de retracer un peu d’histoire…

 

 

 

Pélerinage annéès 50
Dans les années 60
Pèlerinage, dans les années 50
Le site dans les années 60.

 

     LES   TRAVAUX

 

Déjà en 1924-1925 eurent lieu d’importants travaux dont j’ignore la nature exacte.

L’ensemble des réalisations énumérées ci-après en trois étapes revient à l’équipe bénévole de cinq à six viticulteurs que j’ai constituée avec mes amis.

Les débuts

En 1948 se déroule à Saint-Pancrace la cérémonie clôturant la Mission que nous venons d’accueillir à La Palme. Encouragés par le Père Missionnaire, nous décidons et entreprenons divers travaux dans la chapelle et surtout à l’extérieur : réfection des murets, plantation de pins, édification d’un calvaire, adjonction d’un clocher.

vase à encens Au cours de ces travaux, nous mettons à jour de nombreuses sépultures wisigothiques : nous y trouvons quelques vases à encens et des ossements qui reposent aujourd’hui sous le calvaire.

 

En 1959 et début 1960, je reçois à Saint-Pancrace Monsieur le Chanoine Sarraute, délégué des Monuments Historiques pour l’art sacré, venu visiter la chapelle. La peinture et le crépi barbouillant les murs, conjugués sans doute à sa mauvaise vue, l’empêchent de distinguer quoi que ce soit ; il ne trouve donc rien d’extraordinaire à la chapelle. Par contre les pins ont grandi, le site lui plaît et il parle de le faire classer.

Les années passent…       

En 1975, l’autoroute se construit à proximité ; de nombreuses détonations lézardent notre chapelle.   La Mairie fait construire à l’ouest des piliers de soutènement. Cela n’est pas suffisant, il faut se mettre à l’ouvrage : de nombreuses personnes apportent leur obole ; la période d’avant et après vendanges nous laissant un peu de répit dans les vignes, notre équipe de bénévoles commence les travaux. Nous ignorions encore ce que nous allions découvrir…

1980 :    Les lézardes sont colmatées et le crépi refait sur les façades nord et sud, les plus délabrées. Nous découvrons sur la façade nord une porte murée qui n’est autre que l’ancienne porte des morts.

1981 :    La moitié du toit sud menace de s’effondrer : elle est refaite.

avant la rénovation

L’intérieur de la chapelle,

avant sa rénovation.

 

 L’intérieur de la chapelle,

après rénovation.

Aprés la rénovation

1982 : Nous attaquons la façade est, et là, surprise : en enlevant le vieux crépi, nous découvrons dans le chœur de la chapelle des ouvertures et nul ne le savait…Monsieur le Curé fait appel à Monsieur l’Abbé Pauc, Conservateur Départemental des Antiquités et Objets d’Art de l’Aude et des Pyrénées-Orientales, qui nous prodigue ses conseils et encouragements. Encouragements et conseils également de Monsieur le Chanoine Giry, Conservateur du site d’Ensérune, qui situe au Xème siècle l’édification de la chapelle. Monsieur Ponsith, qui fait autorité dans la restauration des Monuments Historiques   des Pyrénées-Orientales, la situe également au Xème siècle avec des antériorités.

1983 : Le toit de l’abside est refait à son tour et ce n’est pas un luxe.

 

Les grands travaux                   

Fin 1984 :    Les fenêtres en forme de meurtrières sont mises à jour, celle du centre reconstituée à l’intérieur. Le chœur, les piliers, les cintres sont décapés, la pierre mise à nu, les joints refaits, les tableaux restaurés, le vieil autel de plâtre et de brique démoli : un autel neuf le remplace. La chapelle est entièrement   repeinte, son aspect primitif retrouvé. Chacun d’entre nous met tout son cœur à l’ouvrage et certains expriment, en toute modestie, quelque talent artistique : torchères en ferronnerie de René, « vitrail » de Louis …

1985 :    Les joints de l’extérieur du chœur sont refaits et les trois façades que nous avions primitivement ravalées reçoivent une couche de mortier ocre, plus esthétique que le ciment employé au préalable.

C’est alors que la Mairie de La Palme nous informe de l’existence d’un concours portant sur les travaux de restauration de monuments. Ce concours est organisé parla délégation départementale de la F.N.A.S.S.E.M. (Fédération Nationale de Sauvegarde des Sites et Ensembles Monumentaux), créée à Carcassonne dans le courant de l’année 1985.

Par chance, j’avais pris la précaution de photographier chaque étape des travaux depuis le commencement, sans trop savoir pourquoi, sans doute à titre de souvenir… Ces photographies, qui illustrent le présent opuscule, se sont avérées bien utiles pour notre dossier de candidature.

Nous recevons à la chapelle une délégation de la F.N.A.S.S.E.M. : la vice-présidente (Madame Richard, épouse du directeur des Archives Départementales de l’Aude) et la secrétaire (Madame Ferriol) ; ces dames nous encouragent à concourir, nous conseillent sur la marche à suivre et nous suggèrent de faire des recherches historiques.

Le 24 janvier 1986, à Carcassonne, nous avions la joie de nous entendre décerner par Madame Caillard Pech de La Clause, présidente de la F.N.A.S.SS.E.M., le premier prix du jury avec la somme de huit mille francs : cette somme est la bienvenue, elle nous permet de continuer les travaux…

Etat initial
phase 1

 

phase finale

Les étapes de la rénovation du carrelage

 

La porte restaurée1986 :   La porte de la chapelle est toute vermoulue : Monsieur l’Abbé Pauc nous conseille de nous inspirer de celle de l’église de Corneilla de Conflent dans les Pyrénées- Orientales, qui date du XIIème siècle.

Nous pouvons acheter le bois de chêne et notre ami René se charge de la ferronnerie.

1987 : La façade ouest est à son tour rénovée.

1988 : Le carrelage du sol est en très mauvais état : sa démolition nous dévoile des restes du pavage primitif en lauze et des fondations gallo-romaines avec de nombreux morceaux de tuiles ainsi qu’une tombe creusée dans le roc, dont nous reparlerons. Nous reconstituons un dallage en lauze.

1989 : La Mairie amène l’électricité jusqu’à l’entrée du terrain : le câble souterrain est posé par nos soins, ainsi que l’éclairage extérieur et intérieur de la chapelle.

1990 : Elagage des pins et débroussaillage des abords extérieurs.

1991 : Pour éviter tout risque de dégradation, de vandalisme et surtout d’incendie, nous entreprenons de clôturer tout autour de la chapelle : la partie nord est effectuée ainsi que le chemin à l’est.

1992 : C’est au tour de la partie sud de recevoir cette protection.

1993 : Réfection du muret, le long du chemin à l’est.

J’espère ne pas vous avoir trop lassés par cette énumération de travaux, mais sans doute comprenez-vous mieux à présent ce qu’est pour nous cette   chapelle, d’autant plus chère à nos yeux qu’on ignorait ce qu’elle était avant cette entreprise qui a participé a sa renaissance.

 

LA   CHAPELLE AU XXIème SIECLE

 

Je vous invite maintenant à découvrir cette chapelle de Saint-Pancrace telle qu’elle nous apparaît de nos jours, nichée dans les pins.

La chapelle actuelle

Adoptons pour ce faire le style qui convient à une description architecturale.

L’abside orientée est bâtie en pierres grossièrement équarries, disposées en assises régulières.

Détail de la cornicheElle est couronnée immédiatement sous la toiture par une corniche qui porte une frise de cercles sécants ou emboîtés : cette corniche serait wisigothique, d’autres la disent carolingienne .

On la retrouve sur une partie de la nef, qui serait donc de la même époque.

L’abside est éclairée par trois ouvertures : une fenêtre centrale, ébrasée intérieurement et extérieurement, et deux fenêtres en forme de meurtrière, ne comportant qu’un seul ébrasement intérieur.

La fenêtre située au nord-est est taillée à l’intérieur d’un bloc de pierre ; ce genre d’ouverture se retrouve dans certains édifices préromans catalans.

Au sud-est la fenêtre présente les caractéristiques des ouvertures préromanes   languedociennes.

L’intérieur est voûté en cul de four. L’arc plein cintre bien appareillé qui ouvre sur la nef est supporté par deux colonnes reposant sur une large base avec une moulure quart de rond terminée par de grosses boules.

Abside et nef ont été élevées au Xème siècle.

L’église romane devait comporter à l’origine deux bas-côtés très étroits couverts d’une charpente ; une corniche étroite court sous la toiture, sur les murs de la nef centrale, qui devaient se trouver alors à l’extérieur.

Un peu plus tard, à une époque que nous situerons ultérieurement, l’édifice a été agrandi, pour aboutir à son aspect actuel : afin d’élargir la nef, construction de grands arcs surbaissés, reposant sur les piliers primitifs aux impostes décorées d’une frise de rameaux en bas-relief et de têtes humaines en relief ; un arc brisé curieusement dévié traverse obliquement le bas-côté sud pour rejoindre le pilier plus ancien voisin de la porte.

Le Christ en croix, au fond de la chapelle, remonte au XIIème siècle : taillée au marteau, cette croix se trouvait à l’extérieur et indiquait le droit d’asile.

Le bénitier serait de la même époque.

Au pied de ce bénitier, creusée dans le roc, se trouve la tombe découverte en 1988, dont nous aurons l’occasion de reparler.

Quant au tabernacle, en marbre de La Palme, il est plus récent : XVIIIème siècle environ.

un détail

La croix en fer forgé, offerte au curé de La Palme, provient d’une pierre tombale de l’Ariège.

Retouchés par nos soins, les tableaux témoignent des récents travaux de restauration déjà décrits, ainsi que torchères et « vitrail », résolument plus modernes.

Torchère en ferronnerie
Torchère en ferronnerie

 

 

LE   SITE   ET   LA   CHAPELLE

AU   COURS   DES   SIECLES

 

Pour ce modeste essai de reconstitution historique, des gallo-romains à la fin de l’époque romane, j’ai bien sûr largement puisé dans des ouvrages de référence : je les citerai au fur et à mesure.

Je me suis également permis quelques interprétations personnelles, à partir de nos découvertes sur le site : je les soumets à votre réflexion et à votre analyse.

A l’époque gallo-romaine, les Romains qui occupaient le pays avaient élevé en ce site tout proche de l’antique Voie Domitienne un monument --un temple, peut-être une église ?-- en l’honneur de Saint Pancrace. En effet Saint Pancrace, martyrisé à Rome en l’an 304 lors des persécutions de Dioclétien, était un saint important pour les Romains : dès le IVème siècle, ils ont élevé une église à son nom à Rome (Archives de l’Aude). Son patronage, rare dans la région, était en usage à l’époque de Grégoire de Tours (VIème siècle).

Par rapport à l’âge d’or des premiers empereurs romains, les IIIème et IVème siècles marquent un déclin de la Narbonnaise et c’est dans cette région déclinante que se répand une religion nouvelle, le christianisme.

Vers le milieu du IIIème siècle, sept évêques missionnaires furent envoyés à travers le pays, d’après Grégoire de Tours ; parmi eux, Saturnin à Toulouse et Paul à Narbonne. Les chrétiens étaient alors très peu nombreux et dispersés.

Vint alors une période d’invasions successives : Vandales (407-409) puis Wisigoths (à partir de 413).

Après la prise et le pillage de Rome par les Wisigoths, Athaulf, beau-frère et successeur d’Alaric, s’empara de Narbonne en 413 et épousa en 414 la sœur de l’empereur   Honorius.   Puis les souverains wisigoths passèrent en Espagne et formèrent le royaume de Tolède.

Ils revinrent dans la seconde moitié du Vème siècle et fondèrent le royaume de Toulouse, tout en respectant la civilisation gallo-romaine : sous leur domination s’exprime un certain lustre, dont témoigne la construction d’églises à Toulouse et à Narbonne ; certains ornements architecturaux de la chapelle Saint-Pancrace portent leur empreinte (corniche de l’abside, sépultures…).

Les wisigoths étaient chrétiens convertis à l’arianisme jusqu’à ce que le roi   Reccared répudiât l’hérésie en 587   (« Histoire du Languedoc » - Le Roy Ladurie).

D’autres invasions suivirent :   Francs (VIème siècle), Sarrasins (711-725), Francs de Charles Martel (737), Sarrasins et Hongrois   (920-930), peuples en migration ou armées en marche, et le monument primitif de Saint-Pancrace ne résista pas à l’usure du temps.

La ruée militaire la plus désastreuse fut la contre-offensive franque de Charles Martel contre les Sarrasins (737).

Dans le Bas- Languedoc furent incendiées maintes villes et dévastées les campagnes dont les chrétiens se sont enfuis. Il fallut recourir à l’immigration espagnole pour combler les vides (« Histoire du Languedoc » - Le Roy Ladurie). C’est le déclin d’une culture : peu d’écritures à cette époque, les textes sont très rares…Le Languedoc tombe dans la nuit des civilisations.

Au Xème siècle, il ne reste plus grand-chose de la Narbonnaise antique, malgré la persistance d’une langue et d’une religion.

Parallèlement, la civilisation progresse et le christianisme se réinstalle dans le pays.

Je crois que c’est à cette période qu’il faut situer la création de lacommunauté de Saint-Pancrace : dans son « Histoire de France », Georges Duby situe le temps fort de la création des villages entre 990 et 1060 ; la plupart s’élèvent sur l’emplacement d’une villa romaine. « Entre 900   et 1050, les hommes se sont groupés autour de l’église du château, cellule de base de l’activité économique et sociale » (« La FranceMédiévale » - Jean Favier).

J’ai relevé dans les Archives Départementales qu’il y avait bien eu un château à Saint- Pancrace.

Travaux de sondageEn prospectant dans les alentours, j’ai eu la chance de découvrir, dans un fouillis de ronces à 150 mètres de la chapelle, un mur qui m’a paru très ancien.

Le tractopelle de la Mairie étant sur les lieux, le conducteur a bien voulu venir à mon aide pour dégager l’endroit et faire un sondage :

les pierres du mur sont du même style que celles de l’abside de la chapelle, et le trou creusé à l’avant jusqu’à soixante-dix centimètres de profondeur laisse voir un parement impeccable.

Sur la propriété voisine se trouve un puits, le seul du tènement à garder de l’eau à longueur de temps ; d’après le propriétaire des lieux, qui le tenait de son grand-père, ce puits sis sur leur terrain appartiendrait en réalité à tous les habitants de la région, ce qui semblerait confirmer que là était bien le château.

 

Non loin de là on devine, gravée sur une pierre, une flèche dont j’ignore la signification.

Une pierre gravée

 

Refermons à présent cette parenthèse sur le château de la communauté de Saint-Pancrace.

Paradoxalement, c’est dans une société apparemment désintégrée que se produit vers le milieu du XIIème siècle un puissant essor économique et démographique. En 1137 s’accélère l’élan qui depuis quelque temps, soutenu par le travail des paysans, entraîne la civilisation toute entière. « Entre 1180 et 1200 il est si vif », nous dit Georges Duby, « qu’on peut se demander s’il le fut jamais autant dans les pays qui font aujourd’hui la France. »

Plan de la chapelleC’est ce contexte historique qui me pousse personnellement à situer à cette période l’agrandissement de la chapelle côté sud, mais également côté nord (nef gauche), contrairement à ce que dit le panneau explicatif du site, datant l’agrandissement nord au XIXème siècle. Certes, le Docteur Charles Pélissier, dans son ouvrage (« Etude d’un tronçonde la Voie Domitienne » -   1919), parle bien d’un ajout récent : « la nef gauche a été ajoutée, il est vrai, il n’y a pas plus de quarante ans » ; mais, précise-t-il, « les fragments de vieux mur qui la rattachent à l’ensemble indiquent qu’elle est la restitution d’une nef ayant existé antérieurement , dont une partie seulement, formant chapelle latérale, subsistait encore et a été respectée par cette restauration. »   De plus, l’existence même de la porte des morts (souvenez-vous de la porte murée que nous avons découverte au moment du crépi du mur nord) vient attester d’une construction bien antérieure au XIXème siècle (seules les églises médiévales étaient dotées d’une porte des morts).

Revenons donc maintenant à ce XIIème siècle marqué «  par ce puissant essor économique et démographique », signifié par les grands défrichements ; dans le Midi où les forêts, victimes des incendies, des troupeaux et d’un climat trop sec ont depuis longtemps disparu, c’est plutôt d’un   « débroussaillement » qu’il s’agit (« Histoire du Languedoc »- LeRoy Ladurie) ; les villages se forment dans les déserts des garrigues, groupés autour d’un chef et plus tard d’un seigneur, son château et son église (la communauté de Saint-Pancrace, nous l’avons vu, s’est créée bien avant, au Xème siècle).

La région, appelée Septimanie sous les Wisigoths, Gothie sous les Carolingiens, tombe alors sous le pouvoir des hiérarchies féodales.

Le premier seigneur de Saint-Pancrace retrouvé dans les textes s’appelait Amiel Amelius d’Auriac, descendant d’une des lignées les plus anciennes du Languedoc (1071), possesseurs de plusieurs fiefs dans le Narbonnais.

« Le 28 juin 1206, Béranger de Boutenac, sa femme Fina, Arnaudi leur fils et Amelius d’Auriac leur gendre reconnaissent devoir à Pierre de Sasala   2500 sols melgoriens, 6 muids de blé, 5 d’orge et 1 de froment,   et lui donnent en gage   le bien qu’ils possèdent   à La Palme dans les terres de l’Abbaye. » (Mahul – H 41).  

 Il s’agit de l’Abbaye de La Grasse, ou Monastère de Sainte Marie d’Orbieu ; Gaubert de Leucate avait lui aussi des biens dans les terres de l’Abbaye, ainsi que Guillaume Etienne de Bizanet.

J’ouvre ici une parenthèse pour donner quelques informations sur l’appartenance du territoire de La Palme à l’Abbaye de La Grasse :

Le 28 juin 805, à Attigny dans les Ardennes, Charlemagne fait donation à l’Abbaye de La Grasse des terres de La Palme (Palman),   Saint Couat   et    Cabrespine    (Mahul – H 11).   Cet acte sera confirmé par plusieurs chartes successives, dont celle de Louis le Débonnaire, la plus connue, en 814, puis Pépin en 834, Charles le Chauve en 870, Charles le Simple en 899…

En 834 Pépin, roi des Aquitains, ratifiant la charte de son père Louis le Débonnaire, attribue au Monastère de Sainte Marie d’Orbieu les « celles » de Saint Couat, Cabrespine et La Palme ; il prend l’Abbaye sous sa protection et confirme en sa faveur les privilèges des terres, l’ « aprision » * , dont les Espagnols avaient joui (Mahul II   p. 212). En effet on sait que des Wisigoths, chrétiens réfugiés en Espagne comme beaucoup d’autres, avaient reçu de Charlemagne des terres à La Palme (l’ « aprision »), en récompense de l’aide apportée à l’empereur dans son combat contre les Sarrasins en 778 (Roncevaux).

 

* Aprision  : sorte d’ « aleu » (petite propriété paysanne cultivée par un paysan libre) conféré à des étrangers, en particulier les Espagnols réfugiés en Septimanie, et à ce titre assujettis à des charges spéciales
(Mahul II p. 212)


Revenons à Saint-Pancrace :   en 1284, Amelius d’Auriac, seigneur de Saint-Pancrace (deuxième ou troisième du nom sans doute…), commence à s’emparer des terres de l’Abbaye (Mahul – H 9   p.205), faisant réagir l’Abbé de La Grasse.

Plusieurs années de litige, dont on trouve trace dans les relevés d’archives (1), aboutirent en 1301 à la signature de l’acte de paréage les rendant tous deux co-seigneurs de La Palme (2).

C’est ainsi qu’Amiel Amelius d’Auriac, qui avait cédé la seigneurie   de Saint-Pancrace à son fils Bernard, devint co-seigneur de La Palme.

Seigneurs de La Palme, de Saint-Pancrace…Les évoquer me remémore notre émotion, au moment de la réfection du carrelage de la chapelle, lorsque nous avons découvert la tombe creusée dans le roc : en soulevant la pierre tombale, nous avons eu la surprise d’exhumer un squelette masculin entier !...   Nous avons d’abord supposé qu’il s’agissait d’un moine ou d’un prêtre, mais Monsieur le Chanoine Giry a éliminé cette possibilité, les pieds étant orientés à l’est (ce qui n’est jamais le cas pour un ecclésiastique).  

En compulsant les Archives Départementales, nous avons relevé :

Acte de commandement de 1302« 1302 juillet – Acte de commandements faits par Guillaume de Maillaco, domicellus, viguier des Corbières pour Amalric, vicomte de Narbonne,   à   Bernard    d’Auriac de se tenir prêt en armes pour aller à la guerre des Flandres, pour le service du Roy, à la suite du dit vicomte » (Doat vol. 49- fol. 287   -   Mahul III p.374).

Ce texte laisse à penser qu’il pourrait s’agir du squelette de Bernard d’Auriac, dernier seigneur de Saint-Pancrace.   En faveur de cette hypothèse plaident l’état du squelette (sternum percé et talon endommagé, pouvant correspondre à des blessures de guerre) et le travail effectué pour creuser la tombe dans le roc (laissant présumer de l’importance du personnage).

(1) L’an 1284 et le 23 janvier après plusieurs difficultés et grandes noises, Messire Auger abbé de La Grasse et Mr Amiel d’Auriac gendarme, touchant la Seigneurie de La Palme, s’accordèrent que l’un et l’aultre deux jouyroit des terres et droictz qu’ils avoyent auparavant et que la justice haulte apartiendroit audict sieur abbé et la civile et mixte audict d’Auriac et que les habitans dudict lieu de La Palme recongoistroyent ledict sieur abbé pour leur seigneur et luy feroyent homage avec jurement de fidélité.    (Mahul H9- page 205)

L’an 1284 et le 24 janvier Amiel d’Auriac gendarme a reconnu tenir en fief de Messire Auger abbé et de son Abbaye, tout ce qu’il possède tant sur terre que sur la mer dans le Château de La Palme terres et appartenences d’iceluy, et faict homage audict sieur abbé les genoux pliés et les mains joinctes et donnant un baiser audict sieur abbé avec jurement et promesse de toute fidélité.    (Mahul H9- page 205)

L’an 1285 et le seizième des calendes de février Révérend Père en Dieu Messire Auger abbé de La Grasse fist convoquer et assembler davant soy dans l’église de La Palme tous les habitans dudict lieu, lesquelz en corps jurèrent fidélité leur vie et membres audict sieur abbé comme souverain seigneur de ladicte ville de La Palme. (Mahul H8- page 457)

(2) 1301 Paréage fait entre Auger abbé des religieux du Monastère de La Grasse et Amélius d’Auriac chevalier touchant la Seigneurie du Château de La Palme (de Palma) diocèse de Narbonne.
(Doat vol 67 fol 165- Livre vert de l’Abbaye de La Grasse fol 171- Mahul t. II   page 300-301)

Les revenus de La Palme étaient considérables en raison des greniers à sel transférés ultérieurement à Sigean où l’abbé et le Couvent avaient la franchise de cette denrée. (Mahul t. II page 300-301)

 

 

La tombe
Le squelette

Découverte de la tombe, au pied du bénitier.

Le squelette, dans la tombe.

 

Excavation mystérieuse

Petite excavation, au pied de la tombe, dont la signification est restée mystérieuse.

 

Nous voici maintenant à la fin du XIIIème siècle, période de marasme économique et d’effondrement démographique :

« Epidémies et guerres accablent l’Europe pendant plus d’un siècle ; famines, disettes frappent tout le Languedoc et les campagnes surpeuplées se vident. » (« Histoire du Languedoc » - Emmanuel Le Roy Ladurie). .

« En 1270 la population a cessé de croître et c’est l’effet de la misère ; sous-alimentés les enfants meurent en plus grand nombre, les adultes plus tôt. Ainsi à la mort de Saint Louis s’interrompt ce moment de profondeur qui depuis le Haut Moyen Age soutenait en France tous les progrès. »   (« Histoire de France » - Georges Duby).

Données historiques et recherches d’archives laissent supposer que le site deSaint-Pancrace a été abandonné vers 1300.   Les actes d’hommage cités ci-dessous vont bien dans le sens de cet abandon :

1295, 4 octobre -   Bernard d’Auriac, fils d’Amelius d’Auriac, rend hommage à Aymeric, vicomte de Narbonne, pour tout ce qu’il avait au château de Saint-Pancrace.   (Doat vol. 47- fol.231).

1299, 3 janvier -    Hommage du même Bernard d’Auriac au vicomte de Narbonne et seulement pour le terroir de Saint-Pancrace.   (Doat vol. 47- fol. 381-383).

1340, 9 janvier -    Son fils Béranger d’Auriac reconnaît qu’il tient de l’Abbé Nicolas et de son couvent de La Grasse tout ce qu’il possède au dit lieu de La Palme dans la mer et dans la terre.   (Mahul – H 38).   Il n’est plus fait mention de Saint-Pancrace…

C’est là, à la fin de l’époque romane, que j’arrêterai cette page d’histoire centrée sur la chapelle dédiée au jeune et saint martyr Pancrace (le latin « Pancrati » a donné Pancrace, et le nom occitan Brancat dérive du latin médiéval « Brancassio »), chère au cœur des habitants de La Palme qui continuent à la faire vivre deux ou trois fois par an lors de messes pèlerinages.

Et La Palme, à propos, quelle est l’origine de ce nom ?

Madame Richard, aux Archives Départementales, nous suggère l’interprétation suivante : au IVème siècle, époque des grands pèlerinages en Terre Sainte, des pèlerins revenant de Jérusalem, portant une palme, auraient fait souche en ce lieu : on les appelait les « Paulmiers », d’où le nom de Palman qui a donné Palme (La).

Les autres interprétations (paume de la main, rame de bateau…) nous paraissent moins plausibles, notamment la version des moines de l’Abbaye de La Grasse venus prendre possession de La Palme le jour des Rameaux : or « Palman » est déjà cité par Charlemagne dans l’acte de donation du village à l’Abbaye le 28 juin 805.

Il ne faudrait conclure ce petit exposé sur Saint-Pancrace sans évoquer la situation privilégiée de la chapelle à proximité de la Voie Domitienne.  

Via DomitiaAux   environs de 1880, suite aux ravages du phylloxéra, toute la vigne périt et il fallut la replanter.

Le travail mécanique avait déjà progressé et l’on se servit, pour préparer le terrain, de grosses charrues traînées par des machines à vapeur, qui remuèrent le sol à de grandes profondeurs :
c’est alors que l’on découvrit aux environs de Saint-Pancrace, à proximité de la Voie Domitienne, une statuette en bronze (Isis Fortuna ou Isitychée) de 93 millimètres de hauteur, modèle très voisin de celle trouvée à Herculanum ; la coiffure est celle de la déesse égyptienne, la main droite appuyée sur un gouvernail ; le bras gauche, amputé au-dessous de l’épaule, devait semble-t-il tenir une corne d’abondance (Docteur CharlesPélissier-1919-« Etude d’un tronçon de la Voie Domitienne »). Furent également mises à jour des quantités de monnaies romaines (dont certaines en or), ainsi que des débris de poteries et des tuiles .

Toujours au sujet de l’importance de cette route, on ne peut laisser dans l’oubli la note qui suit, relative au complot ourdi entre 1276 et 1283 par le vicomte de Narbonne Aymeri et ses deux frères Amauri et Guillaume, contre Philippe le Hardi. Aymeri avait signé un traité d’alliance avec le roi d’Aragon contre le roi de France ; ce traité nécessita de longues négociations, forcément tenues secrètes, comme en témoignent les précautions prises par les émissaires du roi d’Aragon pour que rien ne soit éventé : « ceux-ci (les ambassadeurs aragonais) eurent d’abord un entretien secret avec Aymeri à Narbonne même, puis on décida que pour éviter les soupçons ils repartiraient pour Perpignan et qu’une nouvelle entrevue aurait lieu sur la route dans l’église de Saint-Pancrace près du château de La Palme » (« Histoire du Languedoc » - Privat).

Une monnaie d’Eudes, duc de Bourgogne, attesterait que la Voie Domitienne passait encore à Saint-Pancrace au XVème siècle ( Docteur Charles Pélissier-1919-« Etude d’un tronçon de la Voie Domitienne »).

Je crois vous avoir décrit l’essentiel de ce que j’ai appris à connaître concernant Saint-Pancrace.

Si j’ai pu vous faire goûter le charme du site et partager l’émotion de la découverte, j’aurai atteint mon but.

Et maintenant, avant de vous quitter, laissez-moi vous conter la légende de l’oratoire de Sainte Marie-Madeleine, pour finir sur une belle histoire et peut-être, qui sait, vous inciter à prendre la relève pour de nouveaux travaux…

En effet, quand avec mes camarades nous avons entrepris la restauration de la chapelle Saint-Pancrace, j’avais prévu, une fois que tout serait terminé, de ressusciter l’oratoire de Sainte Marie-Madeleine, mais ce souhait n’a pu se réaliser.

Il est une légende que peu de gens savent, je crois, au sujet de l’ « Oratoire », un des « tènements » du territoire du village, dont les Palmistes connaissent le nom. A la sortie sud-ouest de La Palme, après le chemin du cimetière, une bifurcation : à droite, « les Cabanes », à gauche, « Montauriol ». Là, contre le talus, se dressait autrefois une croix : c’était l’Oratoire. Dans les années 30, lors d’une forte pluie, le talus s’est éboulé, entraînant la croix ; le cantonnier municipal de l’époque (dont nous tairons le nom) l’a emportée sur une brouette et nul ne sait ce qu’elle est devenue…

Et voici la légende, que racontait ma grand-mère :

Il y a    bien longtemps en France vivait un roi qui   s’appelait   François   Ier.   Il avait fait la guerre à un autre roi, le roi d’Espagne, qui   lui se   nommait   Charles Quint. Mais le roi de France avait perdu la guerre et Charles Quint l’avait emprisonné   en   Espagne. Un beau jour cependant François Ier fut libéré et conduit à la frontière de l’Espagne avec la France, qui à l’époque, vers 1500, était aux Cabanes de Fitou*. Il s’en alla à pied tout penaud vers son destin. Mais hélas, il ne savait pas trop la direction qu’il devait prendre : en ce temps là sur les routes, point de poteau indicateur, et une circulation plutôt rare…Il était complètement perdu. Au moment où il désespérait le plus, une femme lui apparut qui lui dit : « je vais t’accompagner en France ». Ils marchèrent, marchèrent, et quand ils furent arrivés à la bifurcation citée plus haut : « ne t’inquiète plus », dit-elle, « te voilà en France ». Le roi remercia la bonne dame, et quand il lui demanda son nom : « je suis Marie-Madeleine », lui répondit-elle, puis elle disparut.

Après avoir lu la légende de ma grand-mère, ami Palmiste, pourquoi ne réaliserais-tu pas, toi, ce que je n’ai pu faire ?

Bon courage, et merci…

* Dans son livre « Les Corbières », Monsieur le Chanoine Giry précise que la trêve entre François Ier et Charles Quint fut signée aux Cabanes de Fitou le 15 janvier 1538.


Principales références

- Archives de l’Aude :

            . A. Mahul - Tome II, série H

            . Doat

- Georges Duby : « Le Moyen Age » - Histoire de France - Hachette 1988

- Jean Favier : « La France médiévale » - Fayard 1983 

- Abbé J. Giry : « Les Corbières » - Coopim. 1989

- Emmanuel Le Roy Ladurie : « Histoire du Languedoc » - Privat 1988

- Docteur Charles Pélissier : « Etude d’un tronçon de la Voie Domitienne » - Caillard 1919

- Blason : Archive de M. VIGNOLES, Curé de La Palme de 1866 à 1910



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